Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/155

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semés de marguerites et de boutons-d’or, puis le long des bois de Saint-Laurent, franchissant parfois les ruisseaux et les halliers pour abréger la route. Les merles sifflaient dans les arbres, et les mésanges s’échappaient joyeusement des buissons frôlés par notre marche.

Parfois nous rencontrions sous nos pas les pervenches si chères à Rousseau, ouvrant leurs corolles bleues parmi ces longs rameaux de feuilles accouplées, lianes modestes qui arrêtaient les pieds furtifs de ma compagne. Indifférente aux souvenirs du philosophe genevois, elle cherchait çà et là les fraises parfumées, et moi, je lui parlais de La Nouvelle Héloïse dont je récitais par cœur quelques passages. « Est-ce que c’est joli ? dit-elle. — C’est sublime. — Est-ce mieux qu’Auguste Lafontaine ? — C’est plus tendre. — Oh ! bien, dit-elle, il faut que je lise cela. Je dirai à mon frère de me l’apporter la première fois qu’il ira à Senlis. » Et je continuais à réciter des fragments de l’Héloïse pendant que Sylvie cueillait des fraises.

VI. — OTHYS.

Au sortir du bois, nous rencontrâmes de grandes touffes de digitale pourprée ; elle en fit un énorme bouquet en me disant : « C’est pour ma tante ; elle sera si heureuse d’avoir ces belles fleurs dans sa chambre. » Nous n’avions plus qu’un bout de plaine à traverser pour gagner Othys. Le clocher du village pointait sur les coteaux bleuâtres qui vont de Montméliant à Dammartin. La Thève bruissait de nouveau parmi les grès et les cailloux, s’amincissant au voisinage de sa source, où elle se repose dans les prés,