Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/168

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J’ai revu le château, les eaux paisibles qui le bordent, la cascade qui gémit dans les roches, et cette chaussée réunissant les deux parties du village, dont quatre colombiers marquent les angles, la pelouse qui s’étend au-delà comme une savane, dominée par des coteaux ombreux ; la tour de Gabrielle se reflète de loin sur les eaux d’un lac factice étoilé de fleurs éphémères ; l’écume bouillonne, l’insecte bruit… Il faut échapper à l’air perfide qui s’exhale en gagnant les grès poudreux du désert et les landes où la bruyère rose relève le vert des fougères. Que tout cela est solitaire et triste ! Le regard enchanté de Sylvie, ses courses folles, ses cris joyeux, donnaient autrefois tant de charme aux lieux que je viens de parcourir ! C’était encore une enfant sauvage, ses pieds étaient nus, sa peau hâlée, malgré son chapeau de paille, dont le large ruban flottait pêle-mêle avec ses tresses de cheveux noirs. Nous allions boire du lait à la ferme suisse, et l’on me disait : « Qu’elle est jolie, ton amoureuse, petit Parisien » Oh ! ce n’est pas alors qu’un paysan aurait dansé avec elle ! Elle ne dansait qu’avec moi, une fois par an, à la fête de l’arc.

X.Le Grand Frisé.

J’ai repris le chemin de Loisy ; tout le monde était réveillé. Sylvie avait une toilette de demoiselle, presque dans le goût de la ville. Elle me fit monter à sa chambre avec toute l’ingénuité d’autrefois. Son œil étincelait toujours dans un sourire plein de charme, mais l’arc prononcé de ses sourcils lui donnait par instants un air sérieux. La chambre était décorée avec simplicité, pourtant les meubles