Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/170

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souvenez-vous du temps où nous étions enfants et vous la plus grande ? — Et vous le plus sage ! — Oh ! Sylvie ! — On nous mettait sur l’âne chacun dans un panier. — Et nous ne nous disions pas vous… Te rappelles-tu que tu m’apprenais à pêcher des écrevisses sous les ponts de la Thève et de la Nonette ? — Et toi, te souviens-tu de ton frère de lait, qui t’a un jour retiré de l’ieau. — Le grand frisé ! c’est lui qui m’avait dit qu’on pouvait la passer… l’ieau !

Je me hâtai de changer la conversation. Ce souvenir m’avait vivement rappelé l’époque où je venais dans le pays, vêtu d’un petit habit à l’anglaise qui faisait rire les paysans. Sylvie seule me trouvait bien mis ; mais je n’osais lui rappeler cette opinion d’un temps si ancien. Je ne sais pourquoi ma pensée se porta sur les habits de noces que nous avions revêtus chez la vieille tante à Othys. Je demandai ce qu’ils étaient devenus. — Ah ! la bonne tante, dit Sylvie, elle m’avait prêté sa robe pour aller danser au carnaval de Dammartin, il y a de cela deux ans. L’année d’après, elle est morte, la pauvre tante !

Elle soupirait et pleurait si bien que je ne pus lui demander par quelle circonstance elle était allée à un bal masqué ; mais, grâce à ses talents d’ouvrière, je comprenais assez que Sylvie n’était plus une paysanne. Ses parents seuls étaient restés dans leur condition, et elle vivait au milieu d’eux comme une fée industrieuse, répandant l’abondance autour d’elle.