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COMMENT JEMMY O’DOUGHERTY EUT TORT D’ALLER À UN MEETING SUR UN TROP GRAND CHEVAL

Jacques Toffel n’avait pas encore accompli sa vingt et unième année, quand il entra dans la lune de miel, et ici nous devons dire à sa louange qu’il sut jouir du bonheur avec sa modération accoutumée. Nous n’avons pas laissé voir qu’il fût dissipé ; et, assurément, nulle tentation ne lui vint d’introduire sa femme dans la haute société du Saragota, et de Vider ainsi les deux bas bleus. Quant à mistress Toffel, ce n’était pas, certes, une méchante fille ; il y avait en elle toujours cette sorte de diablerie irlandaise qui ne lui permettait pas d’être en repos, tant que son mari n’avait pas fait sa volonté. Pour tout dire en un mot, c’était elle qui portait les culottes ou les inexpressibles, selon la chaste locution anglaise. D’ailleurs notre couple vivait heureux ; un jeune Toffel ne tarda pas à faire son apparition dans le monde, et surtout alors l’heureux fermier ne regretta pas d’avoir tiré son épi rouge.

Or, il advint qu’un missionnaire se présenta vers ce temps dans la colonie, avec la prétention d’enseigner à nos bonnes gens un chemin plus court que par le passé pour gagner la porte du ciel. Afin de donner à son projet l’impulsion nécessaire, il avait annoncé un meeting, après s’être assuré préalablement de l’assentiment des dames. Mistress Toffel, dont le respectable pasteur avait recherché surtout le patronage, avait décidé, pour répondre à cet égard flatteur, que son jeune fils serait baptisé en cette occasion, et que le père le transporterait dans ses bras au meeting.