Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/216

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corps : ses jambes étaient jusqu’à la cheville entourées de petits cercles de cuivre et de fer-blanc qui résonnaient prodigieusement à chacun de ses pas ; le reste de sa toilette consistait en un chapeau anglais à trois cornes. Lorsque, avec la conscience de ses perfections, il approcha de la résidence de madame mère, il leva haut les jambes et en fit deux fois le tour en dansant, pour se régaler de la musique dont il était le créateur ; arrivé à la porte, il jeta un dernier coup d’oeil sur son miroir de poche en se regardant de la tête aux pieds, puis il entra.

Nous sommes malheureusement sans information aucune sur le succès de tant d’efforts et de combinaisons de bon goût ; tout ce qui est devenu notoire, c’est que le haut prétendant fut bien moins satisfait de lui-même, quand il quitta la résidence de sa mère, qu’il ne l’avait été en y entrant. La chronique ajoute que, dès ce moment, Jemmy eut sur le souverain indien un empire pour le moins aussi illimité que celui qu’elle avait déjà exercé sur Toffel ; et il paraît qu’elle ne tarda pas à en faire usage, sans doute par de bonnes raisons, attendu qu’elle eut à repousser des tentations assez vives. Mais, dit encore notre document, elle résista héroïquement. Comment en effet pouvait-elle agir autrement, elle dont la pensée tendait à un autre but ? Oui, son regard était sans cesse fixé sur le soleil couchant, sur cette partie du monde où vivait son cher Toffel. Depuis cinq années entières, elle avait supporté sa captivité avec un courage, avec une fermeté héroïques et vraiment irlandaises ; mais présentement elle sentait chaque jour davantage l’amertume de sa position. Pendant la première année, elle avait été tenue en mouvement par la nouveauté de sa destinée ; elle avait, en outre, été stimulée par le