Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/236

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quelque aventure. La rencontre que je fis cette nuit-là est le sujet de la lettre suivante, que j’adressai plus tard à celle dont j’avais cru fuir l’amour fatal en m’éloignant de Paris.

« Je suis dans une inquiétude extrême. Depuis quatre jours, je ne vous vois pas ou je ne vous vois qu’avec tout le monde ; j’ai comme un fatal pressentiment. Que vous ayez été sincère avec moi, je le crois ; que vous soyez changée depuis quelques jours, je l’ignore, mais je le crains. Mon Dieu ! prenez pitié de mes incertitudes, ou vous attirerez sur nous quelque malheur. Voyez, ce serait moi-même que j’accuserais pourtant. J’ai été timide et dévoué plus qu’un homme ne le devrait montrer. J’ai entouré mon amour de tant de réserve, j’ai craint si fort de vous offenser, vous qui m’en aviez tant puni une fois déjà, que j’ai peut-être été trop loin dans ma délicatesse, et que vous avez pu me croire refroidi. Eh bien, j’ai respecté un jour important pour vous, j’ai contenu des émotions à briser l’âme, et je me suis couvert d’un masque souriant, moi dont le cœur haletait et brûlait. D’autres n’auront pas eu tant de ménagement, mais aussi nul ne vous a peut-être prouvé tant d’affection vraie, et n’a si bien senti tout ce que vous valez.

« Parlons franchement : je sais qu’il est des liens qu’une femme ne peut briser qu’avec peine, des relations incommodes qu’on ne peut rompre que lentement. Vous ai-je demandé de trop pénibles sacrifices ? Dites-moi vos chagrins, je les comprendrai. Vos craintes, votre fantaisie, les nécessités de votre position, rien de tout cela ne peut ébranler l’immense affection que je vous porte, ni troubler