Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’embarquèrent à Auxerre par le coche d’eau. L’abbé Thomas était un grand garçon maigre, ayant le visage allongé, le teint bilieux, la peau luisante tachée de rousseurs, le nez aquilin, les sourcils noirs et fournis comme tous les Restif. Il était concentré et très vigoureux sans le paraître, d’un tempérament emporté et plein de passion, qu’il était parvenu à mâter par une volonté de fer et une lutte obstinée. À peine eut-il placé Nicolas parmi les autres enfants de Bicêtre, qu’il ne s’occupa plus de lui que comme d’un étranger. Quand ce dernier se vit seul au milieu de tous ces petits curés, comme il le disait, perdu dans les longs corridors voûtés de cette prison monastique, il fut pris du mal du pays. La monotonie des exercices religieux n’était pas de nature à le distraire, et les livres de la bibliothèque, les Provinciales de Pascal, les Essais de Nicole, la Vie et les Miracles du diacre Pâris, la Vie de M. Tissard et autres œuvres jansénistes, ne lui plaisaient pas autrement. — L’écrivain toutefois se rappela plus tard avec attendrissement les leçons des jansénistes. Selon lui, Pascal, Racine et les autres port-royalistes devaient à l’éducation janséniste une sagacité, une exactitude de raisonnement, une justesse, une profondeur de détails, une pureté de diction qui ont d’autant plus étonné, que les jésuites n’avaient produit que des Annat, des Caussin, etc. C’est que les jansénistes, sérieux, réfléchis, font penser plus fortement, plus tôt et plus efficacement que les molinistes ; ils donnent du ressort par la contrariété à toutes les passions ; ils créent des logiciens qui deviennent des dévots parfaits ou des philosophes résolus. Le moliniste est plus aimable, il ne croit pas que l’homme soit obligé d’avoir toujours son Dieu devant les yeux pour trembler à chaque action, à chaque acte de volonté ; mais, moins propre à la ré-