Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/114

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çà et là des regards dérobés sur la nouvelle épouse, dont le triste sort l’intéressait beaucoup, et se disait qu’à la place du mari il montrerait plus de caractère pour revendiquer ses droits ; les guimpes solennelles de la grande nièce, placée à sa gauche, le ramenaient à des idées plus sages. Cependant de la table, située dans l’arrière-boutique, il avait encore la distraction de voir les passants dans la rue. « Ah ! que les filles sont jolies à Auxerre ! » s’écria-t-il tout à coup. Mme Jeudi lui jeta un regard foudroyant.

— Mais les plus jolies sont encore ici, se hâta de dire Nicolas.

Le mari baissait la tête et rougissait jusqu’aux oreilles ; la grande nièce était pourpre ; Marguerite faisait tous ses efforts pour paraître indignée, et Mlle Jeudi regardait Nicolas avec une douce compassion.

— C’est le frère du curé de Courgis ? dit sévèrement la marchande janséniste à Marguerite.

— Oui, Madame, et de l’abbé Thomas ; mais on ne le destine pas à l’église.

— N’importe, il a les yeux hardis, et je conseillerais à ses frères de le surveiller.

Nicolas et la gouvernante repartirent d’Auxerre à quatre heures pour pouvoir être rendus à Courgis avant la nuit. Arrivés au-delà de Saint-Gervais, ils dirent ensemble nones et vêpres, puis causèrent de l’intérieur de famille qu’ils venaient de voir. Marguerite ne gronda pas trop Nicolas de son observation si déplacée à table, et consentit à rire de la situation mélancolique du pauvre mari. A l’entrée du vallon de Montaleri, il y avait une place couverte de gazon, ombragée de saules et de peupliers, et traversée par une fontaine qui filtrait entre des cailloux. Les voyageurs résolurent d’y faire leur repas du soir ; Nicolas tira