Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/179

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et que c’était moi qui t’aimais. Oh ! que j’eusse été plus tendre et plus enthousiaste encore… Il n’était lui-même que l’image affaiblie et vague de ma jeunesse, et cependant je ne pouvais le haïr… Je n’espérais rien. Alors j’exprimai en moi-même, j’exprimai tout seul à sa place les sentiments que tu m’aurais inspirés. Ce qui n’était pour lui que de l’amour était pour moi de l’adoration ; j’eusse été jaloux pour lui, au besoin… j’aurais tué son rival !… Je t’aurais épousée, moi, à sa place…

Sara se cacha honteuse dans les bras de Nicolas, puis elle leva vers lui son visage souriant à travers les pleurs.

— Oh ! parle toujours, dit-elle, mais laisse-moi t’admirer dans ton enthousiasme, dans ta bonté, dans ton génie… Avant ce jour, j’aimais à t’écouter surtout… Maintenant je te regarde, et je te trouve jeune et beau ; oh ! que j’envie celles que tu as aimées !

— Une seule te valait, ma Sara ! mais elle n’avait pour moi que de l’amitié… Elle n’est plus… Reparlons de cet amour bizarre où je me substituais en pensée à celui qui me paraissait plus digne de toi que moi-même ; tu ne sais pas jusqu’où allait ma folie… Il y a un endroit où j’aime à me promener le soir ; on y voit les plus beaux couchers du soleil du monde : c’est l’île Saint-Louis… Eh bien ! en m’appuyant, à travers mes contemplations, sur les pierres grises du quai, j’y gravai furtivement les initiales du nom que je t’avais choisi : AD. AD. Cela signifiait pour moi : Adeline adorée

— Oh ! nous irons ensemble au premier beau jour, et tu me feras voir ces lettres, dit Sara, et tu me diras tout ce que tu pensais en les gravant !

— Oui, mon amie, puisque tu le veux… Mais, hélas ! je suis plus vieux d’un an encore, et j’ai tant souffert !

Sara se jeta à son cou riant et pleurant tour à tour,