Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/213

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mateur. — Pour Gaudet d’Arras, au contraire, dont il a longuement détaillé le type dans le Paysan perverti, il n’y a ni vertu, ni vice, ni lâcheté, ni faiblesse. Tout ce que fait l’homme est bien, en tant qu’il agit selon son intérêt ou son plaisir, et ne s’expose ni à la vengeance des lois ni à celle des hommes. Si le mal se produit ensuite, c’est la faute de la société qui ne l’a pas prévu. Cependant Gaudet d’Arras n’est pas cruel, il est même affectueux pour ceux qu’il aime, parce qu’il a besoin de compagnie ; sensible aux maux d’autrui par suite d’une espèce de crispation nerveuse que lui fait éprouver le spectacle de la souffrance ; mais il pourrait être dur, égoïste, insensible, qu’il ne s’en estimerait pas moins, et n’y verrait qu’un hasard de son organisation, ou plutôt qu’un but mystérieux de cette immortelle nature qui a fait le vautour et la colombe, le loup et la brebis, la mouche et l’araignée. Rien n’est bien, rien n’est mal, mais tout n’est pas indifférent. Le vautour débarrasse la terre des chairs putréfiées, le loup empêche la multiplication de races innombrables d’animaux rongeurs, l’araignée réduit le nombre des insectes nuisibles ; tout est ainsi : le fumier infect est un engrais, les poisons sont des médicaments… L’homme, qui a le gouvernement de la terre, doit savoir régler les rapports des êtres et des choses relativement à son intérêt et à celui de sa race. Là, et non dans les religions ou les formes de gouvernement, se trouve le principe des générations futures. Avec une bonne organisation sociale, on se passera fort bien de la vertu : — la bienfaisance et la pitié seront l’affaire des magistrats ; — avec une philosophie solide, on annulera de même les peines morales, lesquelles sont le résultat soit de l’éducation religieuse, soit des lectures romanesques.

Rien n’est bien neuf aujourd’hui dans cette doctrine