Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/22

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et les plus rapprochés s’imaginèrent d’abord qu’il s’agissait de vendre des onguents ou de crier des complaintes et des noëls. Mais tout à coup Raoul Spifame ôta son feutre, dérangea sa cape, qui laissa voir un étincelant collier d’ordres tout de verroteries et de cliquant qu’on lui laissait porter dans sa prison pour flatter sa manie incurable, et sous un rayon de soleil qui baignait son front à la hauteur où il s’était placé, il devenait impossible de méconnaître la vraie image du roi Henri deuxième, qu’on voyait de temps en temps parcourir la ville à cheval.

« Oui ! criait Claude Vignet à la foule étonnée : c’est bien le roi Henri que vous avez au milieu de vous, ainsi que l’illustre poète Claudius Vignetus, son ministre et son favori, dont vous savez par cœur les œuvres poétiques…

— Bonnes gens de Paris ! interrompait Spifame, écoutez la plus noire des perfidies. Nos ministres sont des traîtres, nos magistrats sont des félons !… Votre roi bien-aimé a été tenu dans une dure captivité, comme les premiers rois de sa race, comme le roi Charles sixième, son illustre aïeul… »

À ces paroles, il y eut dans la foule un long murmure de surprise, qui se communiqua fort loin : on répétait partout : « Le roi ! le roi !… » On commentait l’étrange révélation qu’il venait de faire ; mais l’incertitude était grande encore, lorsque Claude Vignet tira de sa poche le rouleau des édits, arrêts et ordonnances, et les distribua dans la foule, en y mêlant ses propres poésies.

« Voyez, disait le roi, ce sont les édits que nous avons rendus pour le bien de notre peuple, et qui n’ont été publiés ni exécutés…

— Ce sont, disait Vignet, les divines poésies traîtreusement pillées, soustraites et gâtées par Pierre de Ronsard et Mellin de Saint-Gelais.