mit dans une lanterne, et sortit sans regarder ni saluer personne. Il demeurait alors dans la maison. « Quel est cet original ? demanda Cubières. — Eh quoi ! vous ne le connaissez pas ? lui répondit-on ; c’est Restif de la Bretone. » Pénétré d’étonnement à ce nom célèbre, le chevalier revint le lendemain, curieux d’engager des relations amicales avec un écrivain qu’il aimait à lire. Ce dernier ne répondit rien aux compliments que lui fit l’écrivain musqué si chéri dans les salons du temps. Cubières se borna à rire de cette impolitesse. Ayant eu plus tard occasion de rencontrer Restif chez des amis communs, il vit en lui un tout autre homme plein de verve et de cordialité. Il lui rappela leur première entrevue. — Que voulez-vous ? dit Restif, je suis l’homme des impressions du moment ; j’écrivais alors le Hibou nocturne, et, voulant être un hibou véritable, j’avais fait vœu de ne parler à personne.
Il y avait bien aussi quelque affectation dans ce rôle de bourru, renouvelé de Jean-Jacques. Cela excitait la curiosité des gens du monde, et les femmes du plus haut rang se piquaient d’apprivoiser l’ours. Alors il redevenait aimable ; mais ses galanteries à brûle-pourpoint, son audace, renouvelée de l’époque où il jouait le rôle d’un Faublas de bas étage, effrayaient parfois les imprudentes forcées d’écouter tout à coup quelque boutade cynique.
Un jour, il reçut une invitation à déjeûner chez M. Senac de Meillan, intendant de Valenciennes, avec quelques bourgeois provinciaux qui désiraient voir l’auteur du Paysan perverti. Il y avait là en outre des académiciens d’Amiens et le rédacteur de la Feuille de Picardie. Restif se trouva placé entre une Mme Denys, marchande de mousseline rayée, et une autre dame modestement vêtue qu’il prit pour une femme de chambre de grande maison. En