Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/251

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La première est intitulée la Veillée de la bonne femme, et commence ainsi :

    Tout au beau milieu des Ardennes,
Est un château sur le haut d’un rocher,
    Où fantômes sont par centaines.
Les voyageurs n’osent en approcher :
        Dessus ses tours
    Sont nichés les vautours,
    Ces oiseaux de malheur.
Hélas ! ma bonne, hélas ! que j’ai grand’peur !

On reconnaît déjà tout-à-fait le genre de la ballade, telle que la conçoivent les poètes du Nord, et l’on voit surtout que c’est là du fantastique sérieux ; nous voici bien loin de la poésie musquée de Bernis et de Dorat. La simplicité du style n’exclut pas un certain ton de poésie ferme et colorée qui se montre dans quelques vers.

    Tout à l’entour de ses murailles
On croit ouïr les loups-garous hurler,
    On entend traîner des ferrailles,
On voit des feux, on voit du sang couler,
        Tout à la fois,
    De très sinistres voix
    Qui vous glacent le cœur.
Hélas ! ma bonne, hélas ! que j’ai grand’peur !

Sire Enguerrand, brave chevalier qui revient d’Espagne, veut loger en passant dans ce terrible château. On lui fait de grands récits des esprits qui l’habitent ; mais il en rit, se fait débotter, servir à souper, et fait mettre des draps à un lit. A minuit commence le tapage annoncé par les bonnes gens. Des bruits terribles font trembler les murailles, une nuée infernale flambe sur les lambris ; en même temps, un grand vent souffle et les battants des portes s’ouvrent avec rumeur.