Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Léonore, cachait mal le trouble de son âme et suivait le comte Gédéon qu’elle avait aimé jusque-là. — De grâce, daignez m’apprendre mes crimes ? disait-il. Est-ce un perfide que vous abandonnez ? Qu’ai-je fait depuis deux jours ? Mes sentiments, mes pensées, mon existence, mon sang, tout n’est-il pas à vous ? Vous ne pouvez être inconstante ! Quelle espèce de fanatisme vient donc m’enlever un cœur qui m’a coûté tant de tourments ?

— Ce n’est pas vous que je hais, répondit-elle, c’est votre sexe ; ce sont vos lois tyranniques, cruelles !

— Hélas ! de ce sexe proscrit aujourd’hui, vous n’avez encore connu que moi. Où donc est mon despotisme ; quand ai-je eu le malheur d’affliger ce que j’aime ?

Léonore soupirait et ne savait pas accuser celui qu’elle adorait. Il veut prendre une de ses mains.

— Si vous m’aimez, lui dit-elle, gardez-vous de souiller ma main par un baiser profane. Je crois bien que je ne pourrai jamais vous quitter. Mais, pour preuve de cette obéissance à laquelle vous voulez que je croie, restez neuf jours sans me voir, et croyez que ce sacrifice ne sera pas perdu pour mon cœur.

Gédéon s’éloigna ; et ne pouvant la soupçonner, ni n’osant se plaindre, il s’en alla réfléchir sur les causes de son malheur.

Il serait trop long de raconter tout ce qui se passa dans ces deux heures d’épreuves. Il est certain que ni les raisonnements, ni les sarcasmes, ni les prières, ni les larmes, ni le désespoir, ni les promesses, enfin tout ce que la séduction emploie, ne purent rien, tant la curiosité et l’espoir secret de dominer sont des ressorts puissants chez les femmes. Toutes rentrèrent dans le temple telles que la grande prêtresse l’avait ordonné.

Il était trois heures de la nuit. Chacun reprit sa place. On présenta différentes liqueurs pour soutenir les forces.