Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/62

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porte-clefs qui le servait fut effrayé de son état, qui se partageait entre une sorte d’exaltation fiévreuse et un abattement qui le prenait ensuite et qui le faisait ressembler à un mort ; il contrefit même cette situation au point que les médecins de la Bastille eurent peine à lui faire donner quelques signes de vie, et déclarèrent que son mal dégénérait en paralysie. À dater de cette consultation, il feignit d’être pris de la moitié du corps et ne bougeait que d’un côté.

Corbé vint le voir, et lui dit :

— On va vous transporter ailleurs. Mais vous voyez ce qu’ont amené vos desseins d’évasion.

— D’évasion ! s’écria l’abbé. Mais qui pourrait espérer de se tirer de la Bastille ? Cela est-il arrivé déjà ?

— Jamais ! Hugues Aubriot, qui avait fait terminer cette forteresse et qui y fut plus tard enfermé, n’en sortit que par suite d’une révolution faite par les Maillotins. C’est le seul qui en soit sorti contre le vouloir du gouvernement.

— Mon Dieu ! dit l’abbé, sans la maladie qui m’a frappé, je ne me plaindrais de rien… sinon des crapauds qui laissent leur bave sur mon visage quand ils passent sur moi pendant mon sommeil.

— Vous voyez ce qu’on gagne à la rébellion.

— D’un autre côté, je me fais une consolation en instruisant des rats auxquels je livre le pain du roi, que ma maladie m’empêche de manger… Vous allez voir comme ils sont intelligents.

Et il appela : « Moricaud ? »

Un rat sortit d’une fente de pierres et se présenta près du lit de l’abbé…

Corbé ne put s’empêcher de rire aux éclats, et dit :

— On va vous mettre dans un lieu plus convenable.