Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/83

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distinguée. — N’allez pas croire toutefois qu’il fût ambitieux, l’amour seul occupait ses pensées, et il lui eût sacrifié même la gloire, dont il était digne peut-être, et qu’il n’obtint jamais. — Quiconque aurait à cette époque fréquenté la Comédie-Française n’eût pas manqué d’apercevoir à la première rangée du parterre une longue figure au nez aquilin, avec la peau brune et marquée de petite vérole, des yeux noirs pleins d’expression, un air d’audace tempéré par beaucoup de finesse ; un joli cavalier du reste, à la taille svelte, à la jambe élégante et nerveuse, chaussé avec soin, et rachetant par la grâce d’attitude d’un homme habitué à briller dans les bals publics ce que sa mise avait d’un peu modeste pour un spectateur du théâtre royal. C’était Nicolas l’ouvrier, consacrant presque tous les soirs au plaisir de la scène une forte partie du gain de sa journée, applaudissant avec transport les chefs-d’œuvre du répertoire comique (il n’aimait pas la tragédie), et surtout marquant son enthousiasme aux passages débités par la belle Mlle Guéant, qui obtenait alors un grand succès dans la Pupille et dans les Dehors trompeurs.

Rien n’est plus dangereux pour les gens d’un naturel rêveur qu’un amour sérieux pour une personne de théâtre ; c’est un mensonge perpétuel, c’est le rêve d’un malade, c’est l’illusion d’un fou. La vie s’attache tout entière à une chimère irréalisable qu’on serait heureux de conserver à l’état de désir et d’aspiration, mais qui s’évanouit dès que l’on veut toucher l’idole.

Il y avait un an que Nicolas admirait Mlle Guéant sous le faux jour du lustre et de la rampe, lorsqu’il lui vint à l’esprit de la voir de plus près. Il alla se planter à la sortie des acteurs, qui correspondait alors à un passage conduisant au carrefour de Bussy. La petite porte du théâtre