Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/85

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tait rien encore ; mais bientôt on gagna la longue série des quais, où nécessairement sa force allait être vaincue. Heureusement, la nuit le favorisant, il eut l’idée de s’élancer derrière la voiture, où il reprit haleine, enchanté de cette position, mais le cœur navré de jalousie. Il était évident pour lui que l’équipage se dirigeait vers quelque petite maison. La naïve pupille qu’il venait d’admirer au théâtre convolait cette fois à des noces mystérieuses.

Et quel droit avait-il, cet insensé spectateur, tout plein encore des illusions de la soirée, de s’enquérir des actions nocturnes de la belle Guéant ? Si, au lieu de la Pupille, elle avait joué ce soir-là les Dehors trompeurs, le sentiment éprouvé par Nicolas eût-il été le même ? C’est donc une femme idéale qu’il aimait, puisqu’il n’avait jamais songé d’ailleurs à se rapprocher d’elle ; mais le cœur humain est fait de contradictions. De ce jour, Nicolas se sentait amoureux de la femme et non plus seulement de la comédienne. Il osait pénétrer un de ses secrets, il se sentait résolu à se mêler au besoin à cette aventure, comme il arrive quelquefois que dans les rêves le sentiment de la réalité se réveille, et que l’on veut à tout prix les faire aboutir.

La voiture, après avoir traversé les ponts et s’être engagée de nouveau parmi les rues de la rive droite, s’était enfin arrêtée dans la cour d’un hôtel du quartier du Temple. Nicolas se glissa à terre sans que le concierge s’en aperçût, et se trouva un instant embarrassé de sa position. Pendant ce temps, la voix doucement timbrée de Mlle Guéant disait à sa compagne : « Descends la première, Junie. »

Junie ! À ce nom, un souvenir déjà vague passa dans la tête de Nicolas : c’était le petit nom d’une demoiselle Prudhomme, danseuse à l’Opéra-Comique, qu’il avait ren-