Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/99

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ques. Ce n’était pas assez encore. Derrière le bois du Boutparc, vis-à-vis les vignes de Montgré, on rencontrait un vallon sombre bordé de grands arbres. Nicolas hésitait d’abord à s’y engager ; il se rappelait les histoires de voleurs et d’excommuniés changés en bêtes que Jaquot lui avait souvent racontées. Moins effrayées que leur gardien, les bêtes sautent dans le vallon. Il y en avait de plusieurs sortes dans le troupeau ; les chèvres grimpent aux broussailles, les brebis broutent l’herbe, et les porcs fouillent la terre pour y trouver une espèce de carotte sauvage que les paysans nomme échavie. Nicolas les suivait pour les empêcher d’aller trop loin, lorsqu’il aperçut sous un chêne un gros sanglier noir, qui, en humeur de folâtrer, vint se mêler à la bande plus civilisée des pourceaux. Le jeune pâtre tressaillait à la fois d’horreur et de plaisir, car la vue de cet animal augmentait l’aspect sauvage du lieu qui avait tant de charmes pour lui. Il se garda de faire un mouvement à travers les feuilles. Un instant après, un chevreuil, puis un lièvre vinrent jouer plus loin sur une bande de gazon ; puis ce fut une huppe qui se percha dans un de ces gros poiriers dont les paysans appellent le fruit poire de miel. Le rêveur se croyait transporté dans le pays des fées ; tout à coup, parmi les broussailles, un loup montra son poil fauve et son nez pointu avec deux yeux qui brillaient comme des charbons… Les chiens qui arrivaient lui firent la chasse, et adieu tout ce qui complétait le tableau, chevreuil, lièvre et sanglier ! La huppe même, l’oiseau de Salomon, s’était envolée ; seulement, comme une fée bienfaisante, elle avait signalé l’arbre aux poires de miel, si douces et si sucrées que les abeilles les dévorent. Nicolas emplit ses poches de ce fruit délicieux, dont, à son retour, il régala ses frères et ses sœurs.