M. de la Montette s’inclina en observant finement l’étrange expression du visage de Nicolas. Il était clair, du reste, que la veuve Léeman tenait à ménager ce dernier.
— Est-ce que ma fille ne vous avait pas prévenu de notre partie de campagne ? dit-elle d’un ton radouci.
— Je n’en savais pas un mot !
— Ah ! la pécore !… s’écria Mme Léeman.
Elle employa même un terme plus vif en priant aussitôt M. de la Montette d’excuser la sévérité d’une mère comme appréciation de son enfant.
— Monsieur était devenu pour ma fille un second père, ajouta-t-elle en montrant Nicolas, et je comprends son inquiétude… Mais Sara avait mis un mot sous votre porte, lui dit-elle encore.
— C’est vrai, c’est vrai, madame, répondit-il en se retirant, je l’avais oublié.
Nicolas était confondu. S’il s’agissait d’un mariage avec un homme de considération, sa générosité l’empêchait de s’y opposer, son cœur même en eût été moins froissé sans doute ; mais la lettre de Sara, qui d’ailleurs ne disait pas un mot de la partie de campagne, indiquait un danger d’une autre nature. Pendant qu’il réfléchissait ballotté dans cette incertitude, la voiture était repartie, car Mme Léeman n’était revenue chez elle que pour prendre quelques effets. Courir après une voiture pour savoir où elle s’arrêterait, Nicolas l’avait tenté jadis avec succès ; mais quelle apparence qu’à plus de quarante ans on pût renouveler ce tour de force ! Il fallut attendre toute la nuit et tout un jour encore.
Le surlendemain, Sara frappait à la porte de son ami d’une manière bien connue ; il renverse tout pour ouvrir. Sara lui dit d’un air glacé :
— Eh bien ! qu’est-ce donc ? me voilà !
— Qu’est-ce donc ?… Mais vous ai-je rien dit, ma pauvre enfant ?
— Non, dit Sara embarrassée, mais votre air effaré…