Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/145

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dans la seconde partie du livre[1]. Le Pornographe fut suivi de plusieurs ouvrages du même genre, que l’auteur range sous le titre d’Idées singulières. Le second volume s’intitule le Mimographe ou le Théâtre réformé. Restif insiste dans ce livre sur la nécessité d’admettre la vérité absolue au théâtre, et de renoncer au système conventionnel de la tragédie et de la comédie, dont les règles académiques ont opprimé même des génies tels que Corneille et Molière. On croirait lire les préfaces de Diderot et de Beaumarchais, — qui, plus heureux ou plus habiles, parvinrent à réaliser leurs théories, — tandis que le théâtre de Restif fut toujours repoussé de la scène. On se convaincra de l’excès de réalité qu’il voulait introduire en sachant qu’il proposait, pour augmenter l’unité, la moralité et la volupté du théâtre, de faire jouer les scènes d’amour par de véritables amants la veille de leur mariage.

Jusqu’à son livre du Paysan perverti, Restif n’avait presque rien gagné en dehors de son travail d’imprimeur, qui représentait pour lui le gagne-pain comme les copies de musique pour Jean-Jacques Rousseau. Les libraires payaient rarement leurs billets, la contrefaçon réduisait de beaucoup les bénéfices possibles, et les censeurs arrêtaient souvent des ouvrages tout imprimés, ou les grevaient de frais énormes en faisant substituer des cartons aux passages dangereux. « Au 18 auguste 1790, dit l’auteur, j’étais encore plus pauvre que pendant ma proterie. Je mangeais rapidement le profit de ma Famille vertueuse ; mon École de la jeunesse était refusée par le libraire, mon Pornographe par le censeur… Cependant je ne me décourageai pas. Je fis Lucile en cinq jours. Je ne pus la vendre que trois louis à un libraire, qui en tira quinze cents exemplaires au lieu de mille, et qui communiqua les épreuves aux contrefacteurs. Cet homme, suppôt de police, a fait une for-

  1. Quelques années plus tard, Restif, arrivé à une plus grande réputation, reçut de la part de Joseph II un brevet de baron enfermé dans une tabatière ornée d’un portrait de l’empereur. Il renvoya le brevet, et garda l’image du souverain philosophe.