Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/150

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connaître les Mémoires. Dans le roman, il s’est représenté lui-même sous le nom d’Edmond, et ses aventures d’Auxerre en forment la première partie : on voit qu’il n’y a pas là de grands frais d’imagination ; l’art se montre dans l’agencement des détails et dans la peinture des caractères. Celui de Gaudet d’Arras est surtout fort saisissant et peut compter comme le prototype de ces personnages sombres qui planent sur une action romanesque et en dirigent fatalement les fils. On a beaucoup abusé depuis de ces héros sataniques et railleurs ; mais Restif a l’avantage d’avoir peint un type véritable, compensé bien tristement par le malheur de l’avoir connu. À voir ainsi la réalité servir à la fable du drame, on pense à ces groupes que certains statuaires composent avec des figures qui ne sont pas le produit de l’étude ou de l’imagination, mais qui ont été moulées sur nature. D’après ce procédé, nous voyons aussi paraître le type adorable de Mme Parangon, puis, en opposition, celui de Zéfire. Il est inutile de répéter toute cette histoire ; mais on peut remarquer que Mme Parangon et Gaudet d’Arras se rencontrent à Paris avec l’auteur, comme son bon et son mauvais génie. C’est cette portion qui constitue en réalité la force et le mérite de ce livre, qui autrement ne serait qu’une ébauche de mémoires personnels. Gaudet d’Arras devient le Mentor funeste d’Edmond ; il l’entraîne à travers tous les désordres, toutes les corruptions, tous les crimes de la capitale, et cela sans intérêt, sans haine, et même avec une sorte d’amitié compatissante pour un jeune homme dont la société lui plaît. D’après sa philosophie longuement développée, il faut, pour être heureux, tout connaître, user de tout, et satisfaire ses passions sans trouble et sans enthousiasme, puis se tarir le cœur progressivement, pour arriver à cette insensibilité contemplative du sage, qui devient sa vraie couronne et le prépare aux douceurs futures de la mort, son unique récompense. En suivant ce système, Edmond, après avoir mené vie joyeuse, déshonoré sa bienfaitrice, essayé jusqu’au plus honteux raffinement du vice, finit par épouser une