Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/16

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Il appela les conseillers : nos amés et féaux, et honorable procureur Noël Brûlot d’un Dieu-gard ! rempli d’aménité. Quant à lui-même, Spifame, il se chercha dans l’assemblée, regretta de ne point se voir, s’informa de sa santé, et toujours se mentionna à la troisième personne, se qualifiant : « notre amé Raoul Spifame, dont tous doivent bien parler. » Alors ce fut un haro général entremêlé de railleries, où les plaisants placés derrière lui s’appliquaient à le confirmer dans ses folies, malgré l’effort des magistrats pour rétablir l’ordre et la dignité de l’audience. Une bonne sentence, facilement motivée, finit par recommander le pauvre homme à la sollicitude et adresse des médecins ; puis on l’emmena, bien gardé, à la maison des fous, tandis qu’il distribuait encore sur son passage force salutations à son bon peuple de Paris.

Ce jugement fit bruit à la cour. Le roi, qui n’avait point oublié son Sosie, se fit raconter les discours de Raoul, et comme on lui apprit que ce sire improvisé avait bien imité la majesté royale :

— Tant mieux ! dit le roi ; qu’il ne déshonore pas pareille ressemblance, celui qui a l’honneur d’être à notre image.

Et il ordonna qu’on traitât bien le pauvre fou, ne montrant toutefois aucune envie de le revoir.

II

LE REFLET

Durant plus d’un mois, la fièvre dompta chez Raoul la raison rebelle encore, et qui secouait parfois rudement ses illusions dorées. S’il demeurait assis dans sa chaise, le jour, à se rendre compte de sa triste identité, s’il parvenait à se reconnaître, à se comprendre, à se saisir, la nuit son existence réelle lui était enlevée par des songes extraordinaires, et il en subissait une tout autre, entièrement absurde et hyperbolique ; pareil à ce