Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bizarres, est une œuvre qui restera toujours le modèle et l’idéal du roman fantastique écrit à une époque où ce genre n’avait pas encore été essayé. On lut partout avec avidité ces pages brillantes et colorées, fruit des loisirs d’un long séjour aux colonies, d’où l’auteur, comme Bernardin de Saint-Pierre revenu avec Paul et Virginie, avait rapporté aussi un véritable chef-d’œuvre d’imagination et de style ; production originale et isolée parmi les autres de ce temps-là. Une aventure singulière vint troubler la légitime satisfaction que lui procurait son succès. On raconte que, peu de temps après la publication du Diable amoureux, Cazotte reçut la visite d’un mystérieux personnage au maintien grave, aux traits amaigris par l’étude, et dont un manteau brun drapait la stature imposante.

Il demanda à lui parler en particulier, et, quand on les eut laissés seuls, l’étranger aborda Cazotte avec quelques signes bizarres, tels que les initiés en emploient pour se reconnaître entre eux.

Cazotte, étonné, lui demanda s’il était muet, et le pria d’expliquer mieux ce qu’il avait à dire. Mais l’autre changea seulement la direction de ses signes et se livra à des démonstrations plus énigmatiques encore.

Cazotte ne put cacher son impatience.

— Pardon, monsieur, lui dit l’étranger, mais je vous croyais des nôtres et dans les plus hauts grades.

— Je ne sais ce que vous voulez dire, répondit Cazotte.

— Et, sans cela, où donc auriez-vous puisé les pensées qui dominent dans votre Diable amoureux ?

— Dans mon esprit, s’il vous plaît.

— Quoi ! ces évocations dans les ruines, ces mystères de la cabale, ce pouvoir occulte d’un homme sur les esprits de l’air, ces théories si frappantes sur le pouvoir des nombres, sur la volonté, sur les fatalités de l’existence, vous auriez imaginé toutes ces choses ?

— J’ai lu beaucoup, mais sans doctrine, sans méthode particulière.