pourtant, faudrait-il accepter toujours les leçons de ce bon sens vulgaire qui marche dans la vie sans s’inquiéter des sombres mystères de l’avenir et de la mort ? La destinée la plus heureuse tient-elle à cette imprévoyance qui reste surprise et désarmée devant l’événement funeste, et qui n’a plus que des pleurs et des cris à opposer aux coups tardifs du malheur ? Madame Cazotte est, de toutes ces personnes, celle qui devait le plus souffrir ; pour les autres, la vie ne pouvait plus être qu’un combat, dont les chances étaient douteuses, mais la récompense assurée.
Il n’est pas inutile, pour compléter l’analyse des théories que l’on retrouvera plus loin dans quelques fragments de la correspondance qui fut le sujet du procès de Cazotte, d’emprunter encore quelques opinions de ce dernier au récit d’Anna-Marie :
« Nous vivons tous, disait-il, parmi les esprits de nos pères ; le monde invisible nous presse de tous côtés… ; il y a là sans cesse des amis de notre pensée qui s’approchent familièrement de nous. Ma fille a ses anges gardiens ; nous avons tous les nôtres. Chacune de nos idées, bonnes ou mauvaises, met en mouvement quelque esprit qui leur correspond, comme chacun des mouvements de notre corps ébranle la colonne d’air que nous supportons. Tout est plein, tout est vivant dans ce monde, où, depuis le péché, des voiles obscurcissent la matière… Et moi, par une initiation que je n’ai point cherchée et que souvent je déplore, je les ai soulevées comme le vent soulève d’épais brouillards. Je vois le bien, le mal, les bons elles mauvais ; quelquefois, la confusion des êtres est telle à mes regards, que je ne sais pas toujours distinguer au premier moment ceux qui vivent dans leur chair de ceux qui en ont dépouillé les apparences grossières…
» Oui, ajoutait-il, il y a des âmes qui sont restées si matérielles, leur forme leur a été si chère, si adhérente, qu’elles ont emporté dans l’autre monde une sorte d’opacité. Celles-là ressemblent longtemps à des vivants.