Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/291

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cèrent par répandre en Europe les œuvres hardies des philosophes et des mécontents français, et qui sont restées, sur certains points, des ateliers de contrefaçon pure et simple, qu’on aura bien de la peine à détruire.

Il est impossible, pour un Parisien, de résister au désir de feuilleter de vieux ouvrages étalés par un bouquiniste. Cette partie de la foire de Francfort me rappelait les quais, souvenirs pleins d’émotion et de charme. J’achetai quelques vieux livres ; ce qui me donnait le droit de parcourir longuement les autres. Dans le nombre, j’en rencontrai un, imprimé moitié en français, moitié en allemand, et dont voici le titre, que j’ai pu vérifier depuis dans le Manuel du libraire de Brunet :

« Événements des plus rares, ou Histoire du sieur abbé comte de Bucquoy, singulièrement son évasion du fort l’Évêque et de la Bastille, avec plusieurs ouvrages vers et prose, et, particulièrement, la game des femmes ; se vend chez Jean de la France, rue de la Réforme, à l’Espérance, à Bonnefoy. — 1719. »

Le libraire m’en demanda un florin et six kreutzers (on prononce cruches). Cela me parut cher pour l’endroit, et je me bornai à feuilleter le livre, ce qui, grâce à la dépense que j’avais déjà faite, m’était gratuitement permis. Le récit des évasions de l’abbé de Bucquoy était plein d’intérêt ; mais je me dis enfin : « Je trouverai ce livre à Paris, aux bibliothèques, ou dans ces mille collections où sont réunis tous les mémoires possibles relatifs à l’histoire de France. » Je pris seulement le titre exact, et j’allai me promener au Meinlust, sur le quai du Mein, en feuilletant les pages du Volks-Kalender.

À mon retour à Paris, je trouvai la littérature dans un état de terreur inexprimable. Par suite de l’amendement Riancey à la loi sur la presse, il était défendu aux journaux d’insérer ce que l’Assemblée s’est plue à appeler le feuilleton-roman. J’ai vu bien des écrivains, étrangers à toute couleur politique, désespérés de cette résolution qui les frappait cruellement dans leurs moyens d’existence.

Moi-même, qui ne suis pas un romancier, je tremblais en