Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/339

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cacha sous un grand tapis de Turquie recouvrant une table, un jour que la demoiselle était couchée dans la chambre dite du Roi, « et vint se mettre près d’elle. » Cinquante fois, elle le supplia, craignant toujours de voir son père entrer. Du reste, même endormis l’un près de l’autre, leurs caresses étaient pures…

C’était l’esprit du temps, où la lecture des poètes italiens faisait régner encore, dans les provinces surtout, un platonisme digne de celui de Pétrarque. On voit des traces de ce genre d’esprit dans le style de la belle pénitente à qui nous devons ces confessions.

Cependant, le jour étant venu, La Corbinière sortit un peu tard par la grande salle. Le comte, qui s’était levé de bonne heure, l’aperçut, sans pouvoir être sûr au juste qu’il sortit de chez sa fille, mais le soupçonnant très-fort.

« Ce pourquoi, ajoute la demoiselle, mon très-cher papa resta ce jour-là très-mélancolique et ne faisait autre que de parler avec maman ; pourtant, l’on ne me dit rien du tout. »

Le troisième jour, le comte était obligé de se rendre aux funérailles de son beau-frère Manicamp. Il se fit suivre de La Corbinière, ainsi que de son fils, d’un palefrenier et de deux laquais, et, se trouvant au milieu de la forêt de Compiègne, il s’approcha tout à coup de l’amoureux, lui tira par surprise l’épée du baudrier, et, lui mettant le pistolet sur la gorge, dit au laquais :

— Ôtez les éperons à ce traître, et vous en allez un peu devant…


Je ne sais si cette simple histoire d’une petite demoiselle et du fils d’un charcutier amusera beaucoup les lecteurs. Son principal mérite est d’être vraie incontestablement. Tout ce que j’ai analysé aujourd’hui peut être vérifié aux archives nationales. Je vous réserve d’autres pièces non moins authentiques qui compléteront ce récit.