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Page:Nerval - Lorely, 1852.djvu/25

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médiatisé, qui m’avait donné l’idée de parcourir l’Afrique et l’Asie. Je l’ai vu un jour passer à Vienne, dans une calèche que le monde suivait. Lui, aussi, avait été cru mort, ce qui donna sujet à une foule de panégyriques et commença sa réputation ; — par le fait, il avait traversé deux fois le lac funeste de Karon, dans la province égyptienne du Fayoum. Il ramenait d’Égypte une Abyssinienne cuivrée qu’on voyait assise sur le siéiie de sa voiture à côté du cocher. La pauvre enfant frissonnait sous son habbarah quadrillé, en traversant la foule élégante, sur les glacis et les boulevards de la porte de Carinthie, et contemplait avec tristesse le drap de neige qui couvrait les gazons et les longues allées d’ormes poudrés à blanc.

Cette promenade a été un des grands divertissements de la société viennoise, et je ne sais si le regard éclatant de l’Abyssinienne ne fut pas encore pour moi un des coups d’œil vainqueurs de la trompeuse Lorely. Depuis ce jour je ne fis que rêver à l’Orient, comme vous l’avez dit dans la suite de votre article, et je me promenais tous les soirs pensif le long de ce Danube orageux qui touche au Rhin par ses sources et par ses bouches vaseuses aux flots qui vont vers le Bosphore.

Alors j’ai tout quitté, Vienne et ses délices, et cette société qui vivait encore en plein dix-huitième siècle, et qui ne prévoyait ni sa révolution san-