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VOYAGE EN ORIENT.

La princesse éprouva, à cette déclaration imprévue, un tel saisissement, que sa réponse s’arrêta à ses lèvres ; Hakem avait parlé avec une telle autorité, une domination si fascinatrice, que Sétalmule sentit que toute objection était impossible. Sans attendre la réponse de sa sœur, Hakem rétrograda jusqu’à la porte ; puis il regagna sa chambre, et, vaincu par le hachich, dont l’effet était arrivé à son plus haut degré, il se laissa tomber sur les coussins comme une masse et s’endormit.

Aussitôt après le départ de son frère, Sétalmule manda près d’elle le grand vizir Argévan, et lui raconta tout ce qui venait de se passer. Argévan avait été le régent de l’empire pendant la première jeunesse de Hakem, proclamé calife à onze ans ; un pouvoir sans contrôle était resté dans ses mains, et la puissance de l’habitude le maintenait dans les attributions du véritable souverain, dont Hakem avait seulement les honneurs.

Ce qui se passa dans l’esprit d’Argévan, après le récit que lui fit Sétalmule de la visite nocturne du calife, ne peut humainement se décrire ; mais qui aurait pu sonder les secrets de cette âme profonde ? Est-ce l’étude et la méditation qui avaient amaigri ses joues et assombri son regard austère ? Est-ce la résolution et la volonté qui avaient tracé sur les lignes de son front la forme sinistre du tau, signe des destinées fatales ? La pâleur d’un masque immobile, qui ne se plissait par moments qu’entre les deux sourcils, annonçait-elle seulement qu’il était issu des plaines brûlées du Maghreb ? Le respect qu’il inspirait à la population du Caire, l’influence qu’il avait prise sur les riches et les puissants, étaient-ils la reconnaissance de la sagesse et de la justice apportées à l’administration de l’État ?

Toujours est-il que Sétalmule, élevée par lui, le respectait à l’égal de son père, le précédent calife. Argévan partagea l’indignation de la sultane et dit seulement :

— Hélas ! quel malheur pour l’empire ! Le prince des croyants a vu sa raison obscurcie… Après la famine, c’est un autre fléau dont le ciel nous frappe. Il faut ordonner des prières publiques ; notre seigneur est devenu fou !