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DRUSES ET MARONITES.

bouche d’une pourpre éblouissante éclatait comme une grenade pleine de perles.

Le costume de Sétalmule était d’une richesse inouïe : une corne de métal, recouverte de diamants soutenait son voile de gaze mouchetée de paillons ; sa robe, mi-partie de velours vert et de velours incarnadin, disparaissait presque sous les inextricables ramages des broderies. Il se formait aux manches, aux coudes, à la poitrine, des foyers de lumière d’un éclat prodigieux, où l’or et l’argent croisaient leurs étincelles ; la ceinture, formée de plaques d’or travaillé à jour et constellée d’énormes boutons de rubis, glissait par son poids autour d’une taille souple et majestueuse, et s’arrêtait retenue par l’opulent contour des hanches. Ainsi vêtue, Sétalmule faisait l’effet, d’une de ces reines des empires disparus, qui avaient des dieux pour ancêtres.

La portière s’ouvrit violemment, et Hakem parut sur le seuil. À la vue de son frère, Sétalmule ne put retenir un cri de surprise qui ne s’adressait pas tant à l’action insolite qu’à l’aspect étrange du calife. En effet, Hakem semblait n’être pas animé par la vie terrestre. Son teint pâle reflétait la lumière d’un autre monde. C’était bien la forme du calife, mais éclairée d’un autre esprit et d’une autre âme. Ses gestes étaient des gestes de fantôme, et il avait l’air de son propre spectre. Il s’élança vers Sétalmule plutôt porté par la volonté que par des mouvements humains, et, quand il fut près d’elle, il l’enveloppa d’un regard si profond, si pénétrant, si intense, si chargé de pensées, que la princesse frissonna et croisa ses bras sur son sein, comme si une main invisible eût déchiré ses vêtements.

Sétalmule, dit Hakem, j’ai pensé longtemps à te donner un mari ; mais aucun homme n’est digne de toi. Ton sang divin ne doit pas souffrir de mélange. Il faut transmettre intact à l’avenir le trésor que nous avons reçu du passé. C’est moi, Hakem, le calife, le seigneur du ciel et de la terre, qui serai ton époux : les noces se feront dans trois jours. Telle est ma volonté sacrée.