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VOYAGE EN ORIENT.

voyés par M. Jean, qui fumaient tranquillement sous le vestibule, où ils s’étaient fait servir du café ; puis le juif Yousef, au premier étage, se livrant aux délices du narghilé, et d’autres gens encore menant grand bruit sur la terrasse. Je réveillai le drogman qui faisait son kief (sa sieste) dans la chambre du fond. Il s’écria comme un homme au désespoir :

— Je vous l’avais bien dit, ce matin !

— Mais quoi ?

— Que vous aviez tort de rester sur votre terrasse.

— Vous m’avez dit qu’il était bon de n’y monter que la nuit, pour ne pas inquiéter les voisins.

— Et vous y êtes resté jusqu’après le soleil levé.

— Eh bien ?

— Eh bien, il y a là-haut des ouvriers qui travaillent à vos frais et que le cheik du quartier a envoyés depuis une heure.

Je trouvai, en effet, des treillageurs qui travaillaient à boucher la vue de tout un côté de la terrasse.

— De ce côté, me dit Abdallah, est le jardin d’une khanoun (dame principale d’une maison) qui s’est plainte de ce que vous avez regardé chez elle,

— Mais je ne l’ai pas vue… malheureusement.

— Elle vous a vu, elle, cela suffit.

— Et quel âge a-t-elle, cette dame ?

— Oh ! c’est une veuve ; elle a bien cinquante ans.

Cela me parut si ridicule, que j’enlevai et jetai au dehors les claies dont on commerçait à entourer la tentasse ; les ouvriers, surpris, se retirèrent sans rien dire, car personne au Caire, à moins d’être de race turque, n’oserait résister à un Franc. Le drogman et le juif secouèrent la tête sans trop se prononcer. Je fis monter les cuisiniers, et je retins celui d’entre eux qui me parut le plus intelligent. C’était un Arabe, à l’œil noir, qui s’appelait Mustafa ; il parut très-satisfait d’une piastre et demie par journée que je lui fis promettre. Un des autres s’offrit à l’aider pour une piastre seulement ; je ne jugeai pas à propos d’augmenter à ce point mon train de maison.