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VOYAGE EN ORIENT.

d’un long séjour au Caire et de celui que je puis faire encore dans d’autres villes, il est clair que j’atteins un but d’économie. En me mariant, j’eusse fait le contraire. Décidé par ces réflexions, je dis à Abdallah de me conduire au bazar des esclaves.


VIII — L’OKEL DES JELLAB


Nous traversâmes toute la ville jusqu’au quartier des grands bazars, et, là, après avoir suivi une rue obscure qui faisait angle avec la principale, nous fîmes notre entrée dans une cour irrégulière sans être obligés de descendre de nos ânes. Il y avait au milieu un puits ombragé d’un sycomore. À droite, le long du mur, une douzaine de noirs étaient rangés debout, ayant l’air plutôt inquiets que tristes, vêtus pour la plupart du sayon bleu des gens du peuple, et offrant toutes les nuances possibles de couleur et de forme. Nous nous tournâmes vers la gauche, o% régnait une série de petites chambres dont le parquet s’avançait sur la cour comme une estrade, à environ deux pieds de terre. Plusieurs marchands basanés nous entouraient déjà en nous disant :

Essouad ? Abesch ? (Des noirs ou des Abyssiniennes ?)

Nous nous avançâmes vers la première chambre.

Là, cinq ou six négresses, assises en rond sur des nattes, fumaient pour la plupart, et nous accueillirent en riant aux éclats. Elles n’étaient guère vêtues que de haillons bleus, et l’on ne pouvait reprocher aux vendeurs de parer la marchandise. Leurs cheveux, partagés en des centaines de petites tresses serrées, étaient généralement maintenus par un ruban rouge qui les partageait en deux touffes volumineuses ; la raie de chair était teinte de cinabre ; elles portaient des anneaux d’étain aux bras et aux jambes, des colliers de verroterie, et, chez quelques-unes, des cercles de cuivre passés au nez ou aux oreilles complétaient une sorte d’ajustement barbare dont certains tatouages et coloriages de la peau rehaussaient encore le caractère. C’étaient des négresses du Sennaar, l’espèce la plus