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VOYAGE EN ORIENT.

elle ne devait pas tarder à s’ouvrir ; mais on n’allait assister pour le moment qu’à une simple soirée de vaudeville.

Vers sept heures, la rue étroite dans laquelle s’ouvre l’impasse Waghorn était encombrée de monde, et les Arabes s’émerveillaient de voir entrer toute cette foule dans une seule maison. C’était grande fête pour les mendiants et pour les âniers, qui s’époumonnaient à crier bakchis ! de tous côtés. L’entrée, fort obscure, donne dans un passage couvert qui s’ouvre au fond sur le jardin de Rosette, et l’intérieur rappelle nos plus petites salles populaires. Le parterre était rempli d’Italiens et de Grecs en tarbouch rouge qui faisaient grand bruit ; quelques officiers du pacha se montraient à l’orchestre, et les loges étaient assez garnies de femmes, la plupart en costume levantin.

On distinguait les Grecques en tatikos de drap rouge festonné d’or qu’elles portent incliné sur l’oreille ; les Arméniennes, aux châles et aux gazillons qu’elles entremêlent pour se faire d’énormes coiffures. Les juives mariées, ne pouvant, selon les prescriptions rabbiniques, laisser voir leur chevelure, ont, à la place, des plumes de coq roulées qui garnissent les tempes et figurent des touffes de cheveux. C’est la coiffure seule qui distingue les races ; le costume est à peu près le même pour toutes dans les autres parties. Elles ont la veste turque échancrée sur la poitrine, la robe fendue et collant sur les reins, la ceinture, le caleçon (cheytian), qui donne à toute femme débarrassée du voile la démarche d’un jeune garçon ; les bras sont toujours couverts, mais laissent pendre, à partir du coude, les manches variées des gilets, dont les poètes arabes comparent les boutons serrés à des fleurs de camomille. Ajoutée à cela des aigrettes, des fleurs et des papillons de diamants relevant le costume des plus riches, et vous comprendrez que l’humble teatro del Cairo doit encore un certain éclat à ces toilettes levantines. Pour moi, j’étais ravi, après tant de figures noires que j’avais vues dans la journée, de reposer mes yeux sur des beautés simplement jaunâtres. Avec moins de bien-