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VOYAGE EN ORIENT.

ment se porter sur les épaules, ou se draper sur la tête, sans cesser d’envelopper tout le corps. Dans ce dernier cas seulement, on a les jambes découvertes, et l’on est coiffé comme un sphinx, ce qui ne manque pas de caractère. Je me bornai pour le moment à gagner le quartier franc, où je voulais opérer ma transformation complète, d’après les conseils du peintre de l’hôtel Domergue,

L’impasse qui aboutit à l’hôtel se prolonge en croisant la rue principale du quartier franc, et décrit plusieurs zigzags jusqu’à ce qu’elle aille se perdre sous les voûtes de longs passages qui correspondent au quartier juif. C’est dans cette rue capricieuse, tantôt étroite et garnie de boutiques d’Arméniens et de Grecs, tantôt plus large, bordée de longs murs et de hautes maisons, que réside l’aristocratie commerciale de la nation franque ; là sont les banquiers, les courtiers, les entrepositaires des produits de l’Égypte et des Indes. À gauche, dans la partie la plus large, un vaste bâtiment, dont rien au dehors n’annonce la destination, contient à la fois la principale église catholique et le couvent des Dominicains. Le couvent se compose d’une foule de petites cellules donnant dans une longue galerie ; l’église est une vaste salle au premier étage, décorée de colonnes de marbre et d’un goût italien assez élégant. Les femmes sont à part dans des tribunes grillées, et ne quittent pas leurs mantilles noires, taillées selon les modes turque ou maltaise. Ce ne fut pas à l’église que nous nous arrêtâmes, du reste, puisqu’il s’agissait de perdre tout au moins l’apparence chrétienne, afin de pouvoir assister à des fêtes mahométanes. Le peintre me conduisit plus loin encore, à un point où la rue se resserre et s’obscurcit, dans une boutique de barbier, qui est une merveille d’ornementation. On peut admirer en elle l’un des derniers monuments du style arabe ancien, qui cède partout la place, en décoration comme en architecture, au goût turc de Constantinople, triste et froid pastiche à demi tartare, à demi européen.

C’est dans cette charmante boutique, dont les fenêtres, gra-