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VOYAGE EN ORIENT.

de coton bleu et un gilet rouge garni d’une broderie d’argent assez propre : sur quoi, le peintre voulut bien me dire que je pouvais passer ainsi pour un montagnard syrien venu de Saïde ou de Taraboulous. Les assistants m’accordèrent le titre de schéléby, qui est le nom des élégants dans le pays.


XI — LA CARAVANE DE LA MECQUE


Je sortis enfin de chez le barbier, transfiguré, ravi, fier de ne plus souiller une ville pittoresque de l’aspect d’un paletot-sac et d’un chapeau rond. Ce dernier ajustement paraît si ridicule aux Orientaux, que, dans les écoles, on conserve toujours un chapeau de France pour en coiffer les enfants ignorants ou indociles : c’est le bonnet d’âne de l’écolier turc.

Il s’agissait pour le moment d’aller voir l’entrée des pèlerins, qui s’opérait depuis le commencement du jour, mais qui devait durer jusqu’au soir. Ce n’est pas peu de chose que trente mille personnes environ venant tout à coup enfler la population du Caire ; aussi les rues des quartiers musulmans étaient-elles encombrées. Nous parvînmes à gagner Bab-el-Fotouh, c’est-à-dire la porte de la Victoire. Toute la longue rue qui y mène était garnie de spectateurs que les troupes faisaient ranger. Le son des trompettes, des cymbales et des tambours réglait la marche du cortège, où les diverses nations et sectes se distinguaient par des trophées et des drapeaux. Pour moi, j’étais en proie à la préoccupation d’un vieil opéra bien célèbre au temps de l’Empire ; je fredonnais la Marche des chameaux, et je m’attendais toujours à voir paraître le brillant Saint-Phar. Les longues files de dromadaires attachés les unes derrière les autres, et montés par des Bédouins aux longs fusils, se suivaient cependant avec quelque monotonie, et ce ne fut que dans la campagne que nous pûmes saisir l’ensemble d’un spectacle unique au monde.

C’était comme une nation en marche qui venait se fondre dans un peuple immense, garnissant à droite les mamelons voisins du Mokatam, à gauche les milliers d’édifices ordinairement