Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
LES FEMMES DU CAIRE.

quelque recherche, qui égrenait nonchalamment son chapelet de bois d’aloès. Un négrillon était en train de rallumer le charbon du narghilé, et un écrivain cophte, assis à ses pieds, servait sans doute de secrétaire.

— Voici, me dit Abdallah, le seigneur Ab-el-Kérim, le plus illustre des marchands d’esclaves : il peut vous procurer des femmes fort belles, s’il le veut ; mais il est riche et les garde souvent pour lui.

Ab-el-Kérim me fit un gracieux signe de tête en portant la main sur sa poitrine, et me dit : Saba-el-kher. Je répondis à ce salut par une formule arabe analogue, mais avec un accent qui lui apprit mon origine. Il m’invita toutefois à prendre place auprès de lui et fit apporter un narghilé et du café.

— Il vous voit avec moi, me dit Abdallah, et cela lui donne bonne opinion de vous. Je vais lui dire que vous venez vous fixer dans le pays, et que vous êtes disposé à monter richement votre maison.

Les paroles d’Abdallah parurent faire une impression favorable sur Abd-el-Kérim, qui m’adressa quelques mots de politesse en mauvais italien.

La figure fine et distinguée, l’œil pénétrant et les manières gracieuses d’Abd-el-Kérim faisaient trouver naturel qu’il fît les honneurs de son palais, où pourtant il se livrait à un si triste commerce. Il y avait chez lui un singulier mélange de l’affabilité d’un prince et de la résolution impitoyable d’un forban. Il devait dompter les esclaves par l’expression fixe de son œil mélancolique, et leur laisser, même les ayant fait souffrir, le regret de ne plus l’avoir pour maître.

— Il est bien évident, me disais-je, que la femme qui me sera vendue ici aura été éprise d’Abd-el-Kérim.

N’importe ; il y avait une fascination telle dans son regard, que je compris qu’il n’était guère possible de ne pas faire affaire avec lui.

La cour carrée, où se promenait un grand nombre de Nubiens et d’Abyssiniens, offrait partout des portiques et des galeries