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VOYAGE EN ORIENT.

mœurs et des croyances primitives n’a laissé çà et là que de légères traces, et c’est l’Égypte encore qui a conservé les plus profondes.

Aujourd’hui, ce peuple, opprimé si longtemps, ne vit que des idées étrangères ; il a besoin qu’on lui reporte les lumières éparses dont il fut longtemps le foyer ; mais avec quelle reconnaissance, avec quelle application studieuse il s’empreint déjà et se fortifie de tout ce qui vient d’Europe ? Les chefs-d’œuvre de nos sciences et de nos littératures sont traduits en arabe et multipliés aussitôt par l’impression ; des milliers de jeunes gens, élevés pour la guerre, emploient à cette œuvre les loisirs de la paix. Faut-il désespérer de cette race forte avec laquelle Méhémet-Ali avait dans ces derniers temps renouvelé et reconquis l’ancien empire des califes, et qui, sans l’intervention européenne, aurait en quelques jours renversé le trône d’Othman ? On peut prévoir déjà qu’à défaut de cette gloire militaire, qui n’a laissé à l’Égypte que l’épuisement d’un grand effort trahi ; la civilisation et l’industrie occuperont les forces et les intelligences, sollicitées à l’action dans un but différent. À Constantinople, les institutions récentes sont stériles ; au Caire, elles donneront de grands résultats lorsque plusieurs années de paix auront développé la prospérité naturelle.


II — LA VIE INTIME À L’ÉPOQUE DU KHAMSIN


J’ai mis à profit, en étudiant et en lisant le plus possible, les longues journées d’inaction que m’imposait l’époque du khamsin. Depuis le matin, l’air était brûlant et chargé de poussière. Pendant cinquante jours, chaque fois que le vent du midi souffle, il est impossible de sortir avant trois heures du soir, moment où se lève la brise qui vient de la mer.

On se tient dans les chambres intérieures, revêtues de faïence ou de marbre et rafraîchies par des jets d’eau ; on peut encore passer sa journée dans les bains, au milieu de ce brouillard tiède qui remplit de vastes enceintes dont la coupole percée