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LES FEMMES DU CAIRE.

pomme d’argent pour me faire honneur dans le quartier. Il me dit que j’étais attendu au consulat pour l’excursion convenue. Nous devions partir le lendemain au point du jour ; mais le consul ne savait pas que, depuis sa première invitation, mon logis de garçon était devenu un ménage, et je me demandais ce que je ferais de mon aimable compagne pendant une absence d’un jour entier. La mener avec moi eût été indiscret ; la laisser seule avec le cuisinier et le portier était manquer à la prudence la plus vulgaire. Cela m’embarrassa beaucoup. Enfin je songeai qu’il fallait ou se résoudre à acheter des eunuques, ou se confier à quelqu’un. Je la fis monter sur un âne et nous nous arrêtâmes bientôt devant la boutique de M. Jean. Je demandai à l’ancien mamelouk s’il ne connaissait pas quelque famille honnête à laquelle je pusse confier l’esclave pour un jour. M. Jean, homme de ressources, m’indiqua un vieux Cophte, nommé Mansour, qui, ayant servi plusieurs années dans l’armée française, était digne de confiance sous tous les rapports.

Mansour avait été mamelouk comme M. Jean, mais des mamelouks de l’armée française. Ces derniers, comme il me l’apprit ; se composaient principalement de Cophtes qui, lors de la retraite de l’expédition d’Égypte, avaient suivi nos soldats. Le pauvre Mansour, avec plusieurs de ses camarades, fut jeté à l’eau à Marseille par la populace pour avoir soutenu le parti de l’empereur au retour des Bourbons ; mais, en véritable enfant du Nil, il parvint à se sauver à la nage et à gagner un autre point de la côte.

Nous nous rendîmes chez ce brave homme, qui vivait avec sa femme dans une vaste maison à moitié écroulée : les plafonds faisaient ventre et menaçaient la tête des habitants ; la menuiserie découpée des fenêtres s’ouvrait par places comme une guipure déchirée. Des restes de meubles et des haillons paraient seuls l’antique demeure, où la poussière et le soleil causaient une impression aussi morne que peuvent le faire la pluie et la boue pénétrant dans les plus pauvres réduits de nos villes. J’eus le cœur serré en songeant que la plus grande partie