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VOYAGE EN ORIENT.

nu. Quant aux autres pyramides de Saccarah, chacune aussi a son spectre : l’un est un vieillard basané et noirâtre, avec la barbe courte ; l’autre est une jeune femelle noire, avec un enfant noir, qui, lorsqu’on la regarde, montre de longues dents blanches et des yeux blancs ; un autre a la tête d’un lion avec des cornes ; un autre a l’air d’un berger vêtu de noir, tenant un bâton ; un autre enfin apparait sous la forme d’un religieux qui sort de la mer et qui se mire dans ses eaux. Il est dangereux de rencontrer ces fantômes à l’heure de midi.

— Ainsi, dis-je, l’Orient a les spectres du jour, comme nous avons ceux de la nuit ?

— C’est qu’en effet, observa le consul, tout le monde doit dormir à midi dans ces contrées, et ce bon cheik nous fait des contes propres à appeler le sommeil.

— Mais, m’écriai-je, tout cela est-il plus extraordinaire que tant de choses naturelles qu’il nous est impossible d’expliquer ? Puisque nous croyons bien à la création, aux anges, au déluge, et que nous ne pouvons douter de la marche des astres, pourquoi n’admettrions-nous pas qu’à ces astres sont attachés des esprits, et que les premiers hommes ont pu se mettre en rapport avec eux par le culte et par les monuments ?

— Tel était, en effet, le but de la magie primitive, dit le cheik ; ces talismans et ces figures ne prenaient force que de leur consécration à chacune des planètes et des signes combinés avec leur lever et leur déclin. Le prince des prêtres s’appelait Kater, c’est-à-dire maître des influences. Au-dessous de lui, chaque prêtre avait un astre à servir seul, comme Pharouïs (Saturne), Rhaouïs (Jupiter) et les autres. Aussi, chaque matin, le Kater disait-il à un prêtre : « Où est à présent l’astre que tu sers ? » Celui-ci répondait : « Il est en tel signe, tel degré, telle minute ; » et, d’après un calcul préparé, on écrivait ce qu’il était à propos de faire ce jour-là. La première pyramide avait donc été réservée aux princes et à leur famille ; la seconde dut renfermer les idoles des astres et les tabernacles des corps célestes, ainsi