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VOYAGE EN ORIENT.

voyages, il était bon qu’elle s’y préparât. Je ne puis rendre toute l’expression d’orgueil blessé, ou plutôt de dignité offensée, dont elle nous foudroya tous.

— Dites au sidi, répondit elle à Mansour, que je suis une cadine (dame) et non une odaleuk (servante), et que j’écrirai au pacha, s’il ne me donne pas la position qui convient.

— Au pacha ? m’écriai-je. Mais que fera le pacha dans cette affaire ? Je prends une esclave, moi, pour me faire servir, et, si je n’ai pas les moyens de payer des domestiques, ce qui peut très-bien m’arriver, je ne vois pas pourquoi elle ne ferait pas le ménage, comme font les femmes dans tous les pays.

— Elle répond, dit Mansour, qu’en s’adressant au pacha, toute esclave a le droit de se faire revendre et de changer ainsi de maître ; qu’elle est de religion musulmane, et ne se résignera jamais à des fonctions viles.

J’estime la fierté dans les caractères, et, puisqu’elle avait ce droit, chose dont Mansour me confirma la vérité, je me bornai à dire que j’avais plaisanté ; que, seulement, il fallait qu’elle s’excusât envers ce vieillard de l’emportement qu’elle avait montré ; mais Mansour lui traduisit cela de telle manière, que l’excuse, je crois bien, vint de son côté.

Il était clair désormais que j’avais fait une folie en achetant cette femme. Si elle persistait dans son idée, ne pouvant m’être pour le reste de ma route qu’un sujet de dépense, au moins fallait-il qu’elle pût me servir d’interprète. Je lui déclarai que, puisqu’elle était une personne si distinguée, il était bon qu’elle apprît le français pendant que j’apprendrais l’arabe. Elle ne repoussa pas cette idée.

Je lui donnai donc une leçon de langage et d’écriture ; je lui fis faire des bâtons sur le papier comme à un enfant, et je lui appris quelques mots. Cela l’amusait assez, et la prononciation du français lui faisait perdre l’intonation gutturale, si peu gracieuse dans la bouche des femmes arabes. Je m’amusais beaucoup à lui faire prononcer des phrases tout entières qu’elle ne comprenait pas, par exemple celle-ci : « Je suis une petite sau-