Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
168
VOYAGE EN ORIENT.

forteresses où la garnison se défend sans se montrer ; les feux croisés et les bombes semblent partir d’eux-mêmes, le bois veut conquérir les pierres, l’homme est absent. C’est pourtant le seul moyen qu’on ait eu de représenter les principales scènes de la campagne de Grèce d’Ibrahim.

Au-dessus de la salle où le pacha rend la justice, on lit cette belle maxime : « Un quart d’heure de clémence vaut mieux que soixante et dix heures de prière. »

Nous sommes redescendus dans les jardins. Que de roses, grand Dieu ! Les roses de Choubrah, c’est tout dire en Égypte ; celles du Fayoum ne servent que pour l’huile et les confitures. Les bostangis venaient nous en offrir de tous côtés. Il y a encore un autre luxe chez le pacha : c’est qu’on ne cueille ni les citrons ni les oranges, pour que ces pommes d’or réjouissent le plus longtemps possible les yeux du promeneur. Chacun peut, du reste, les ramasser après leur chute. Mais je n’ai rien dit encore du jardin. On peut critiquer le goût des Orientaux dans les intérieurs, leurs jardins sont inattaquables. Partout des vergers, des berceaux et des cabinets d’ifs taillés qui rappellent le style de la renaissance ; c’est le paysage du Décaméron. Il est probable que les premiers modèles ont été créés par des jardiniers italiens. On n’y voit point de statues, mais les fontaines sont d’un goût ravissant.

Un pavillon vitré qui couronne une suite de terrasses étagées en pyramide, se découpe sur l’horizon avec un aspect tout féerique. Le calife Haroun n’en eut jamais sans doute de plus beau ; mais ce n’est rien encore. On redescend après avoir admiré le luxe de la salle intérieure et les draperies de soie qui voltigent en plein air parmi les guirlandes et les festons de verdure ; on suit de longues allées bordées de citronniers taillés en quenouille, on traverse des bois de bananiers dont la feuille transparente rayonne comme l’émeraude, et l’on arrive à l’autre bout du jardin à une salle de bains trop merveilleuse et trop connue pour être ici longuement décrite. C’est un immense bassin de marbre blanc, entouré de galeries soutenues