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VOYAGE EN ORIENT.


X — LA QUARANTAINE


Le capitaine Nicolas et son équipage étaient devenus très-aimables et pleins de procédés à mon égard. Ils faisaient leur quarantaine à bord ; mais une barque, envoyée par la Santé, vint pour transporter les passagers dans l’îlot, qui, à le voir de près, était plutôt une presqu’île. Une anse étroite parmi les rochers, ombragée d’arbres séculaires, aboutissait à l’escalier d’une sorte de cloître dont les voûtes en ogive reposaient sur des piliers de pierre et supportaient un toit de cèdre comme dans les couvents romains. La mer se brisait tout alentour sur les grès tapissés de fucus, et il ne manquait là qu’un chœur de moines et la tempête pour rappeler le premier acte du Bertram de Maturin.

Il fallut attendre là quelque temps la visite du nazir, ou directeur turc, qui voulut bien nous admettre enfin aux jouissances de son domaine. Des bâtiments de forme claustrale succédaient encore au premier, qui, seul ouvert de tous côtés, servait à l’assainissement des marchandises suspectes. Au bout du promontoire, un pavillon isolé, dominant la mer, nous fut indiqué pour demeure ; c’était le local affecté d’ordinaire aux Européens. Les galeries que nous avions laissées à notre droite, contenaient les familles arabes campées pour ainsi dire dans de vastes salles qui servaient indifféremment d’étables et de logements. Là, frémissaient les chevaux captifs, les dromadaires passant entre les barreaux leur cou tors et leur tête velue ; plus loin, des tribus, accroupies autour du feu de leur cuisine, se retournaient d’un air farouche en nous voyant passer près des portes. Du reste, nous avions le droit de nous promener sur environ deux arpents de terrain semé d’orge et planté de mûriers, et de nous baigner même dans la mer sous la surveillance d’un gardien.

Une fois familiarisé avec ce lieu sauvage et maritime, j’en trouvai le séjour charmant. Il y avait là du repos, de l’ombre