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LES FEMMES DU CAIRE.

qui avait à son service un Indien. Ce personnage ne tarda pas à m’adresser la parole, ce qui me surprit un peu, les Anglais ne parlant jamais qu’aux gens qui leur ont été présentés ; mais celui-ci était dans une position particulière : c’était un missionnaire de la Société évangélique de Londres, chargé de faire en tout pays des conversions anglaises, et forcé de dépouiller le cant en mainte occasion pour attirer les âmes dans ses filets. Il arrivait justement de la montagne, et je fus charmé de pouvoir tirer de lui quelques renseignements avant d’y pénétrer moi-même. Je lui demandai des nouvelles de l’alerte qui venait d’émouvoir les environs de Beyrouth.

— Ce n’est rien, me dit-il, l’affaire est manquée.

— Quelle affaire ?

— Cette lutte des Maronites et des Druses dans les villages mixtes.

— Vous venez donc, lui dis-je, du pays où l’on se battait ces jours-ci ?

— Oh ! oui. Je suis allé pacifier… pacifier tout dans le canton de Bekfaya, parce que l’Angleterre a beaucoup d’amis dans la montagne.

— Ce sont les Druses qui sont les amis de l’Angleterre ?

— Oh ! oui. Ces pauvres gens sont bien malheureux ; on les tue, on les brûle, on éventre leurs femmes, on détruit leurs arbres, leurs moissons.

— Pardon ; mais nous nous figurons, en France, que ce sont eux, au contraire, qui oppriment les chrétiens !

— Oh ! Dieu ! non, les pauvres gens ! Ce sont de malheureux cultivateurs qui ne pensent à rien de mal ; mais vous avez vos capucins, vos jésuites, vos lazaristes qui allument la guerre, qui excitent contre eux les Maronites, beaucoup plus nombreux ; les Druses se défendent comme ils peuvent, et, sans l’Angleterre, ils seraient déjà écrasés. L’Angleterre est toujours pour le plus faible, pour celui qui souffre…

— Oui, dis-je, c’est une grande nation… Ainsi, vous êtes parvenu à pacifier les troubles qui ont eu lieu ces jours-ci ?