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LES FEMMES DU CAIRE.

un instant que les derviches ne fussent victimes de leur audace et que les murs ne s’écroulassent sur eux ; mais ils ne tardèrent pas à sortir en triomphe, annonçant qu’après quelques difficultés, le saint s’était tenu tranquille : sur quoi, la foule poussa des cris de joie et se dispersa, soit dans la campagne, soit dans les deux cafés qui dominent la côte du Raz-Beyrouth.

C’était le second miracle turc que j’eusse été admis à voir (on se souvient de celui de la Dhossa, où le chérif de la Mecque passe à cheval sur un chemin pavé par les corps des croyants) ; mais ici le spectacle de ce mort capricieux, qui s’agitait dans les bras des porteurs et refusait d’entrer dans son tombeau, me remit en mémoire un passage de Lucien, qui attribue les mêmes fantaisies à une statue de bronze de l’Apollon Syrien. C’était dans un temple situé à l’est du Liban, et dont les prêtres, une fois par année, allaient, selon l’usage, laver leurs idoles dans un lac sacré. Apollon se refusait toujours longtemps à cette cérémonie… Il n’aimait pas l’eau, sans doute en qualité de prince des feux célestes, et s’agitait visiblement sur les épaules des porteurs, qu’il renversait à plusieurs reprises.

Selon Lucien, cette manœuvre tenait à une certaine habileté gymnastique des prêtres ; mais faut-il avoir pleine confiance en cette assertion du Voltaire de l’antiquité ? Pour moi, j’ai toujours été plus disposé à tout croire qu’à tout nier, et, la Bible admettant les prodiges attribués à l’Apollon Syrien, lequel n’est autre que Baal, je ne vois pas pourquoi cette puissance accordée aux génies rebelles et aux esprits de Python n’aurait pas produit de tels effets ; je ne vois pas non plus pourquoi l’âme immortelle d’un pauvre santon n’exercerait pas une action magnétique sur les croyants convaincus de sa sainteté.

Et, d’ailleurs, qui oserait faire du scepticisme au pied du Liban ? Ce rivage n’est-il pas le berceau même de toutes les croyances du monde ? Interrogez le premier montagnard qui passe : il vous dira que c’est sur ce point de la terre qu’eurent lieu les scènes primitives de la Bible ; il vous conduira à l’en-