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DRUSES ET MARONITES.

moindre rang ; quant à la corne que la maîtresse de la maison balançait sur son front et qui lui faisait faire les mouvements d’un cygne, elle était de vermeil ciselé avec des incrustations de turquoises ; les tresses de cheveux, entremêlés de grappes de sequins, ruisselaient sur les épaules, selon la mode générale du Levant. Les pieds de ses dames, repliés sur le divan, ignoraient l’usage des bas ; ce qui, dans ces pays, est général, et ajoute à la beauté un moyen de séduction bien éloigné de mes idées. Des femmes qui marchent à peine, qui se livrent plusieurs fois le jour à des ablutions parfumées, dont les chaussures ne compriment point les doigts, arrivent, on le conçoit bien, à rendre leurs pieds aussi charmants que leurs mains ; la teinture de henné, qui en rougit les ongles, et les anneaux des chevilles, riches comme des bracelets, complètent la grâce et le charme de cette portion de la femme, un peu trop sacrifiée chez nous à la gloire des cordonniers.

Les princesses me firent beaucoup de questions sur l’Europe et me parlèrent de plusieurs voyageurs qu’elles avaient vus déjà. C’étaient en général des légitimistes en pèlerinage vers Jérusalem, et l’on conçoit combien d’idées contradictoires se trouvent ainsi répandues, sur l’état de la France, parmi les chrétiens du Liban. On peut dire seulement que nos dissentiments politiques n’ont que peu d’influence sur des peuples dont la constitution sociale diffère beaucoup de la nôtre. Des catholiques obligés de reconnaitre comme suzerain l’empereur des Turcs n’ont pas d’opinion bien nette touchant notre état politique. Cependant ils ne se considèrent à l’égard du sultan que comme tributaires. Le véritable souverain est encore pour eux l’émir Béchir, livré au sultan par les Anglais après l’expédition de 1840,

En très-peu de temps, je me trouvai fort à mon aise dans cette famille, et je vis avec plaisir disparaître la cérémonie et l’étiquette du premier jour. Les princesses, vêtues simplement et comme les femmes ordinaires du pays, se mêlaient aux travaux de leurs gens, et la plus jeune descendait aux fontaines