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VOYAGE EN ORIENT.

qui, lui-même, tient ses pouvoirs du grand émir résidant à Deïr-Khamar. Ce dernier étant aujourd’hui captif des Turcs, son autorité a été déléguée à deux kaïmakams ou gouverneurs l’un Maronite, l’autre Druse, forcés de soumettre aux pachas toutes les questions d’ordre politique.

Cette disposition a l’inconvénient d’entretenir entre les deux peuples un antagonisme d’intérêts et d’influences qui n’exîstait pas lorsqu’ils vivaient réunis sous un même prince. La grande pensée de l’émir Fakardin, qui avait été de mélanger les populations et d’effacer les préjugés de race et de religion, se trouve prise à contre-pied, et l’on tend à former deux nations ennemies là où il n’en existait qu’une seule, unie par des liens de solidarité et de tolérance mutuelle.

On se demande quelquefois comment les souverains du Liban parvenaient à s’assurer la sympathie et la fidélité de tant de peuples de religions diverses. À ce propos, le père Adam me disait que l’émir Béchir était chrétien par son baptême. Turc par sa vie et Druse par sa mort, ce dernier peuple ayant le droit immémorial d’ensevelir les souverains de la montagne. Il me racontait encore une anecdote locale analogue. Un Druse et un Maronite qui faisaient route ensemble s’étaient demandé :

— Mais quelle est donc la religion de notre souverain ?

— Il est Druse, disait l’un.

— Il est chrétien, disait l’autre.

Un métuali (sectaire musulman) qui passait est choisi pour arbitre, et n’hésite pas à répondre :

— Il est Turc.

Ces braves gens, plus irrésolus que jamais, conviennent d’aller chez l’émir lui demander de les mettre d’accord. L’émir Béchir les reçut fort bien, et, une fois au courant de leur querelle, dit en se tournant vers son vizir :

— Voilà des gens bien curieux ! Qu’on leur tranche la tête à tous les trois !

Sans ajouter une croyance exagérée à la sanglante affabu-