Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
DRUSES ET MARONITES.

sphinx un coq blanc en l’honneur d’Hermès et d’Agathodæmon.

Les sabéens se dressèrent sar leurs pieds et parurent se disposer à suivre leur prêtre ; mais l’étranger, en entendant cette proposition, changea deux ou trois fois de couleur : le bleu de ses yeux devint noir, des plis terribles sillonnèrent sa face, et il s’échappa de sa poitrine un rugissement sourd qui fit tressaillir l’assemblée d’effroi, comme si un lion véritable fût tombé au milieu de l’okel.

— Impies ! blasphémateurs ! brutes immondes ! adorateurs d’idoles ! s’écria-t-il d’une voix retentissante comme un tonnerre.

À cette explosion de colère succéda dans la foule un mouvement de stupeur. L’inconnu avait un tel air d’autorité et soulevait les plis de son sayon par des gestes si fiers, que nul n’osa répondre à ses injures.

Le vieillard s’approcha de lui et lui dit :

— Quel mal trouves-tu, frère, à sacrifier un coq, suivant les rites, aux bons génies Hermès et Agathodæmon ?

L’étranger grinça des dents rien qu’à entendre ces deux noms.

— Si tu ne partages pas la croyance des sabéens, qu’es-tu venu faire ici ? es-tu sectateur de Jésus ou de Mahomet ?

— Mahomet et Jésus sont des imposteurs, s’écria l’inconnu avec une puissance de blasphème incroyable.

— Sans doute tu suis la religion des Parsis, tu vénères le feu…

— Fantômes, dérisions, mensonges que tout cela ! interrompit l’homme au sayon noir avec un redoublement d’indignation.

— Alors, qui adores-tu ?

— Il me demande qui j’adore !… Je n’adore personne, puisque je suis Dieu moi-même ! le seul, le vrai, l’unique Dieu, dont les autres ne sont que les ombres.

À cette assertion inconcevable, inouïe, folle, les sabéens se