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DRUSES ET MARONITES.

Argévan haussa les épaules et sortit avec la sultane.

Hakem n’avait pas même essayé d’invoquer les souvenirs de cette dernière. En y réfléchissant, il voyait la trame trop bien tissée pour espérer de la rompre d’un seul effort. Ou il était réellement méconnu au profit de quelque imposteur, ou sa sœur et son ministre s’étaient entendus pour lui donner une leçon de sagesse en lui faisant passer quelques jours au Moristan. Peut-être voulaient-ils profiter plus tard de la notoriété qui résulterait de cette situation pour s’emparer du pouvoir et le maintenir lui-même en tutelle. Il y avait bien sans doute quelque chose de cela : ce qui pouvait encore le donner à penser, c’est que la sultane, en quittant le Moristan, promit à l’iman de la mosquée de consacrer une somme considérable à faire agrandir et magnifiquement réédifier le local destiné aux fous, — au point, disait-elle, que leur habitation paraîtra digne d’un calife[1].

Hakem, après le départ de sa sœur et de son ministre, dit seulement :

— Il fallait qu’il en fût ainsi !

Et il reprit sa manière de vivre, ne démentant pas la douceur et la patience dont il avait fait preuve jusque-là. Seulement, il s’entretenait longuement avec ceux de ses compagnons d’infortune qui avaient des instants lucides, et aussi avec des habitants de l’autre partie du Moristan qui venaient souvent aux grilles formant la séparation des cours, pour s’amuser des extravagances de leurs voisins. Hakem les accueillait alors avec des paroles telles, que ces malheureux se pressaient là des heures entières, le regardant comme un inspiré (melbous), N’est-ce pas une chose étrange que la parole divine trouve toujours ses premiers fidèles parmi les misérables ? Ainsi, mille ans auparavant, le Messie voyait son auditoire composé surtout de gens de mauvaise vie, de péagers et de publicains.

  1. C’est depuis, en effet, qu’a été construit le bâtiment actuel, l’un des plus magnifiques du Caire.