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DRUSES ET MARONITES.

Ce tableau, plein d’exagération sans doute, me frappait par quelques traits de vérité. Que le nombre des Turcs ait diminué beaucoup, cela n’est pas douteux ; les races d’hommes s’altèrent et se perdent sons certaines influences, comme celles des animaux. Déjà depuis longtemps, la principale force de l’empire turc reposait dans l’énergie de milices étrangères d’origine à la race d’Othman, telles que les mamelouks et les janissaires. Aujourd’hui, c’est à l’aide de quelques légions d’Albanais que la Porte maintient sous la loi du croissant vingt millions de Grecs, de catholiques et d’Arméniens. Le pourrait-elle encore sans l’appui moral de la diplomatie européenne et sans les secours armés de l’Angleterre ? Quand on songe que cette Syrie, dont les canons anglais ont bombardé tous les ports en 1840, et cela, au profit des Turcs, est la même terre où toute l’Europe féodale s’est ruée pendant six siècles, et que nos religions d’État tiennent pour sacrée, on peut croire que le sentiment religieux est tombé bien bas en Europe. Les Anglais n’ont pas même eu l’idée de réserver aux chrétiens l’héritage envahi de Richard Cœur-de-lion.

Je voulais communiquer ces réflexions au révérend ; mais, quand je revins près de lui, il m’accueillit d’un air très-froid. Je compris qu’étant aux premières places, il trouvait inconvenant que je me fusse entretenu avec quelqu’un des secondes. Désormais je n’avais plus droit à faire partie de sa société ; il regrettait sans doute amèrement d’avoir entamé quelques relations avec un homme qui ne se conduisait pas en gentleman. Peut-être m’avait-il pardonné, à cause de mon costume levantin, de ne point porter de gants jaunes et de bottes vernies ; mais se prêter à la conversation du premier venu, c’était décidément improper ! Il ne me reparla plus.


II — LE POPE ET SA FEMME


N’ayant désormais rien à ménager, je voulus jouir entièrement de la compagnie du Marseillais, qui, vu les occasions rares