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DRUSES ET MARONITES.

au consulat français ; mais j’appris là que notre agent résidait de l’autre côté du golfe, sur le revers du mont Carmel. À Saint-Jean-d’Acre, comme dans les villes du Liban, les Européens ont des habitations dans les montagnes, à des hauteurs où cessent l’impression des grandes chaleurs et l’effet des vents brûlants de la plaine. Je ne me sentis pas le courage d’aller demander à déjeuner si au-dessus du niveau de la mer. Quant à me présenter au couvent, je savais qu’on ne m’y aurait pas reçu sans lettres de recommandation. Je ne comptais donc plus que sur la rencontre du Marseillais, lequel probablement devait se trouver au bazar.

En effet, il était en train de vendre à un marchand grec un assortiment de ces anciennes montres de nos pères, en forme d’oignons, que les Turcs préfèrent aux montres plates. Les plus grosses sont les plus chères ; les œufs de Nuremberg sont hors de prix. Nos vieux fusils d’Europe trouvent aussi leur placement dans tout l’Orient, car on n’y veut que des fusils à pierre.

— Voilà mon commerce, me dit le Marseillais ; j’achète en France toutes ces anciennes choses à bon marché, et je les revends ici le plus cher possible. Les vieilles parures de pierres fines, les vieux cachemires, voilà ce qui se vend aussi fort bien. Cela est venu de l’Orient, et cela y retourne. En France, on ne sait pas le prix des belles choses ; tout dépend de la mode. Tenez, la meilleure spéculation, c’est d’acheter en France les armes turques, les chibouks, les bouquins d’ambre et toutes les curiosités orientales rapportées en divers temps par les voyageurs, et puis de venir les revendre dans ces pays-ci. Quand je vois des Européens acheter ici des étoffes, des costumes, des armes, je dis en moi-même : « Pauvre dupe ! cela te coûterait moins cher à Paris, chez un marchand de bric-à-brac. »

— Mon cher, lui dis-je, il ne s’agit pas de tout cela ; avez-vous encore un morceau de votre saucisson d’Arles ?

— Eh ! je crois bien ! cela dure longtemps. Je comprends