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VOYAGE EN ORIENT.

— Je commence à être inquiet du sort de votre ami.

— Mon ami se trouvait dans le ravissement du lot qui lui était échu. Il se dit : « Quel dommage de ne pas savoir qui l’on a aimé un instant ! » Les idées de ces gens-là sont absurdes…

— Ils veulent sans doute que personne ne sache au juste quel est son père ; c’est pousser un peu loin la doctrine de l’égalité. L’Orient est plus avancé que nous dans le communisme.

— Mon ami, reprit le Marseillais, eut une idée bien ingénieuse ; il coupa un morceau de la robe de la femme qui était près de lui, se disant : « Demain matin, au grand jour, je saurai à qui j’ai eu affaire. »

— Oh ! oh !

— Monsieur, continua le Marseillais, quand ce fut au point du jour, chacun sortit sans rien dire, après que les officiants eurent appelé la bénédiction du bon Dieu… ou, qui sait ? peut-être du diable, sur la postérité de tous ces mariages. Voilà mon ami qui se met à guetter les femmes, dont chacune avait repris son voile. Il reconnaît bientôt celle à qui il manquait un morceau de sa robe. Il la suit jusqu’à sa maison sans avoir l’air de rien, et puis il entre un peu plus tard chez elle comme quelqu’un qui passe. Il demande à boire : cela ne se refuse jamais dans la montagne, et voilà qu’il se trouve entouré d’enfants et de petits-enfants… Cette femme était une vieille !

— Une vieille ?

— Oui, monsieur ! et vous jugez si mon ami fut content de son expédition.

— Pourquoi vouloir tout approfondir ? Ne valait-il pas mieux conserver l’illusion ? Les mystères antiques ont eu une légende plus gracieuse, celle de Psyché.

— Vous croyez que c’est une fable que je vous conte ; mais tout le monde sait cette histoire à Tripoli. Maintenant, que dites-vous de ces paroissiens-là et de leurs cérémonies ?

— Votre imagination va trop loin, dis-je au Marseillais ; la coutume dont vous parlez n’a lieu que dans une secte repous-